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Hercule Valjean La fenêtre de la peur ![]() BeQ Hercule Valjean Les aventures policières d’Albert Brien # 094 La fenêtre de la peur détective national des Canadiens-français La Bibliothèque électronique du Québec Collection Littérature québécoise Volume 650 : version 1.0 La fenêtre de la peur Collection Albert Brien gracieuseté de Jean Layette http ://www.editions-police-journal.besaba.com/ ILa cage et l’écureuilRosette, la femme du détective national des c. f., dit : – Il y a un événement important pour nous deux demain ; je gage que tu ne te rappelleras pas de quoi il s’agit. Albert Brien replia le journal qu’il était à parcourir, bailla, s’étira et prononça un vague monosyllabe : – Heu..., fit-il. – Tu ne te souviens pas ? insista Rosette. – Non, mais il y a plus... – Plus ? – Oui, il y a que je m’en sacre. Rosette se mit à feindre l’indignation : – Albert, Albert, tu vas immédiatement regretter cet inconsidéré je m’en sacre quand tu apprendras que cet important événement a trait à notre fils... – Ciel, qu’est-ce que Toto a fait encore ? – Pour une fois, sourit Rosette, il n’a rien fait de mal. – Alors ? – Alors c’est demain le douloureux anniversaire des seules tranchées qui ne se font ni au pic ni à la pelle... Brien interrompit : – Bref, c’est l’anniversaire du jour où par le truchement de notre médecin de famille, tu me donnas Toto... – Et dire que tu avais oublié cet événement qui aurait dû être inoubliable. C’est désolant, père sans-cœur et dénaturé... Ils se sourirent tous deux. Leurs physionomies exprimaient cet air de calme et rare bonheur des ménages heureux. Il demanda : – As-tu sondé le terrain ? Elle regarda son mari, ne comprenant point. Il expliqua : – Oui, Toto t’a-t-il laissé entendre ce qu’il désirait avoir comme cadeau de fête ? – Oh, ça, oui... – Que veut-il ? – Un voyage en bateau. – Un voyage en bateau ! s’écria le détective, c’est un cadeau plutôt original. Où veut-il aller ? – Il veut aller faire le tour du Saguenay. Elle ajouta : – Avec son papa et sa maman naturellement, – Accordé, s’écria Albert, mais à une condition... – Laquelle ? – C’est que dans l’entretemps, une affaire ne surgisse pas, grave et importante... Rosette rêva : – La nuit belle, la nuit divine, sur le lac Saint-Pierre, le passage sous cette merveille du génie qu’est le pont de Québec, le cap Diamant, Gibraltar de l’Amérique, les pieds baignés par le Saint-Laurent et la crête dans les nuages... Albert poursuivit : – La baie Saint-Paul. le manoir Richelieu, la Malbaie et enfin le Saguenay coulant entre deux murailles de roc, le Saguenay aux eaux profondes, dangereuses. La cloche électrique de la porte d’entrée sonna. – Flûte, s’écria Rosette. – Flûte ? – Ouï, les vacances du petit sont à l’eau ; ou plutôt le cadeau... Je gage que c’est un client qui t’apporte une nouvelle affaire. – En tout cas, fit Brien, je ne la prends que si elle est intéressante, importante et surtout payante. De nouveau la sonnerie retentit. – Va donc ouvrir, Rosette, veux-tu... ? La jeune femme se leva et se dirigea vers la porte. Après avoir fait passer la cliente dans le cabinet de travail de son mari, Rosette revint et dit : – Ça s’annonce comme une cause originale. Brien demanda, curieux : – Comment ça ? – As-tu déjà vu des écureuils mêlés à des affaires criminelles ? – Hein ? – De plus l’écureuil est derrière les barreaux. – En prison ? – Mais pour quel crime ? – Tu te rappelles Poléon Séguin, le vieux gouverneur de la prison de Bordeaux ? – Oui, oui. – Eh bien, Poléon disait que le pire des crimes, c’était de se faire prendre. C’est ce crime dont l’écureuil est coupable. Il a été pris et mis derrière les barreaux d’une cage. Rosette reprit : – Va, on t’attend. – Toi, ma femme, ouvre ta machine à écouter et fais-le. – Fais-le ? – Oui, écoute. En entrant dans son cabinet, Brien vit, assise près de son pupitre, une jeune fille d’une beauté modérée et sympathique. Elle était richement vêtue d’une façon qui dénotait à la fois la richesse, l’aisance et la discrétion. Brien posa son habituelle question d’ouverture avec les nouveaux clients : – Mademoiselle... ? – Truro, Docile Truro. À ce moment Albert entendit un bruit venant du plancher. Il abaissa la vue et vit la cage que l’écureuil s’était mis à faire tourner et tourner dans un simulacre de course, de course folle, sans but parce qu’il demeurait toujours à la même place. Il demanda : – Pourquoi avez-vous emmené cet écureuil avec vous ? – Ah, c’est une longue histoire. Deux larmes quittèrent les yeux de la jeune fille et voyagèrent ensuite sur ses joues pour mourir sur ses épaules. – Racontez, mademoiselle. – Ma sœur, dit-elle, est en danger de mort. – Quel est le meurtrier en perspective ? – Son mari. – Il s’appelle... ? – Herbert Prescott ; ma sœur, elle, c’est, Angéline. – Pourquoi Herbert veut-il tuer Angéline? – Pour deux raisons, M. Brien. – Énumérez-les, je vous-prie... – Premièrement nous sommes, nous les Truro, très riches de famille ; Prescott est dans la dèche. La mort d’Angéline serait pour lui une vraie bonanza financière. Brien dit : – Et de un ; maintenant la seconde raison ? – La seconde raison c’est Adrien Perron. – Tiens, un nouveau venu, qui est-il ? – C’est l’ancien cavalier d’Angéline, celui avec qui elle sortait avant de tomber en amour avec Prescott. – Prescott est jaloux, je suppose ? – Oui, jaloux à mort. – Cette jalousie fonctionne-t-elle à vide, est-elle simplement maladive, ou bien est-elle justifiée par la conduite de votre sœur ? – Si vous voulez insinuer que ma sœur fait de la façon à Adrien, détrompez-vous ; Adrien ne l’intéresse plus, non plus du tout. Après un silence, elle reprit : – C’est moi qu’il intéresse. – Hein ? – Vous avez bien compris, M. Brien, je suis en amour avec Adrien. Albert réfléchit. Puis dit : – Prescott a-t-il menacé Angéline de mort ? – Oui ; il lui a dit que s’il la surprenait en compagnie de Perron, il l’abattrait comme... – Comme... ? – Comme une chienne. Brien haussa les épaules et philosopha : – Oh, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Mais dites-moi, que fait ce Prescott ? – Il est ajusteur d’assurances-feu. – Est-il formé en société commerciale ? – Oui, ça s’appelle Prescott et Lalande. – Résumons en quelques mots la situation, fit Brien. Prescott est jaloux en amour et vorace en affaire ; à cause de l’ancien cavalier d’Angéline et aussi à cause de la fortune de celle-ci, il veut l’assassiner... Mais tout cela n’explique point pourquoi vous êtes venue ici avec une cage et un écureuil. – J’y arrive, fît Docile Truro. Elle poursuivit son récit : – Je demeure chez ma sœur. Ce matin, mon cavalier Adrien Perron vint me voir. – Chez Prescott ? – Oui. À un moment donné le téléphone sonna. J’allai prendre l’appel ; comme je raccrochais, j’entendis une commotion. Mon beau-frère venait de s’apercevoir que Perron était dans la maison et il voulait le mettre à la porte. Je m’interposai et expliquai la situation... – Que dites-vous au juste à Herbert ? – Je lui dis qu’Adrien était mon cavalier et non celui d’Angéline ; j’ajoutai qu’il n’avait, pas le droit de mettre quiconque dehors, parce que la maison n’était pas à lui, mais qu’elle nous appartenait à ma sœur et à moi. – Mais l’écureuil... ? – Ah, la brave petite bête ; elle nous aime tant toutes deux ; elle a dû s’apercevoir de la méchanceté innée de Prescott... – Alors l’écureuil mordit votre beau-frère ? – Et celui-ci menaça de faire un mauvais parti au petit rongeur ? – Oui. – Alors pour le protéger, vous l’avez emmené ici avec vous ? – Oui. Brien demanda : – Votre sœur Angéline a-t-elle quitté définitivement le domicile conjugal ? – Oui. – Quand ça ? – Il y a quelques minutes à peine. – Pour quelle destination ? – Elle ne me l’a pas dit ; mais elle doit communiquer bientôt avec moi. – Est-ce que c’est elle qui vous a demandé de venir me voir ? – Oui. – Continuez votre récit... – Où en étions-nous ? – Vous enguirlandiez Prescott. – Ah, oui. Je triomphai et il vida les lieux, me laissant seule avec Adrien Perron, mon cavalier. Nous nous embrassâmes longuement. Puis je regardai par dessus l’épaule de mon amoureux, à travers la large fenêtre de l’autre côté de la rue. Yvonne Latour, la vieille écornifleuse, et son mari nous reluquaient. – Et ensuite... ? – Prescott avait un revolver dans sa chambre ; nous résolûmes qu’il valait mieux le cacher, le faire disparaître ; sans quoi, j’aurais été constamment inquiète ; je n’aurais pas vécu... – Où avez-vous caché l’arme ? – Dans le cabinet à musique en feuilles. Brien demanda : – À ce moment la commère Latour espionnait-elle ? – Ciel, s’écria Docile, je n’ai pas pensé à fermer les tentures. – Ainsi vous ne savez pas si elle vous a vue serrer le pistolet dans le cabinet à musique ? – Non. – Ensuite... ? – Nous sortîmes tous deux et nous séparâmes, Adrien se rendant à son travail et moi m’en venant ici. Albert demanda : – Ainsi, mademoiselle, vous requérez mes services pour la protection de votre sœur, madame Prescott ? – Oui, M. Brien. – Ce sera mille piastres de dépôt ; ceci est simplement pour couvrir les dépenses dans cette cause ; plus tard, nous parlerons de mes honoraires professionnels. Candidement Docile offrit : – J’ai deux mille piastres dans ma sacoche ; les voulez-vous ? S’il n’était pas un poudrier, le détective ne détestait pas les arrhes. Il dit : – C’est pas de refus, mademoiselle Truro. Comme elle se levait et prenait la cage de l’écureuil, il demanda : – Vous ne resterez plus chez Prescott ? – Non, car j’ai bien trop peur de lui. – Où pourrai-je vous rejoindre alors ? – Suite 0212, hôtel Lassale. |
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