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Conférence de Mme Sylvie Cèbe Maître de conférences en sciences de l’éducation, thèse en psychologie du développement Directrice Adjointe de l’IUFM de Lyon, chargée de la recherche Enseignante pendant plusieurs années dans les quartiers nord de Marseille Travail en collaboration avec M Jean-Louis Paour (Professeur des Universités de psychologie, à l’Université de Provence, et M Roland Goigoux (Professeur des Universités de sciences de l’éducation à l’IUFM d’Auvergne) Introduction • L’école maternelle a la mission ambitieuse d’engager tous les élèves dans la première étape des apprentissages fondamentaux. L’école maternelle française reste une exception :
Les travaux récents sur l’évaluation prouvent que l’hypothèse « plus on entre tôt à l’école, plus on réduirait les inégalités sociales » est un pari gagné contrairement aux idées reçues. Mais si ce constat se vérifie pour une grande majorité des élèves, il reste que l’école peine encore à assurer le rôle compensatoire des inégalités sociales que la loi lui assigne. • Caractéristiques des élèves qui inquiètent les enseignant/e/s les plus expérimenté/e/s.
• Or l’école n’est pas un lieu de soin mais d’apprentissage. Si elle a peu de prises sur les problèmes familiaux, elle peut donner les clés de l’apprentissage qui vont permettre d’aider l’élève à en résoudre un certain nombre. Comment participer à l’amélioration des pratiques pédagogiques des enseignant/e/s ? Tous les apprentissages systématiques, programmés ne sont pas synonymes de souffrance, de contraintes. Les jeunes enfants adorent apprendre. • Refusons de choisir entre le développement personnel de l’enfant et les apprentissages. Tous les jeunes enfants naissent programmés pour avoir très envie de savoir et tout petits, ils passent leur temps à chercher à savoir. Il y a une forte corrélation entre la réussite scolaire telle qu’elle est perçue par les jeunes enfants et l’estime de soi. Cette connaissance de sa valeur par rapport à celle des autres apparaît vers 4ans, dès la moyenne section. • Il existe des différences d’efficience très précoces. L’hétérogénéité est une donnée du métier d’enseignant. Recherche menée dans le réseau de recherche « RESEiDA » : Recherches sur la Socialisation, l'Enseignement, les Inégalités et les Différenciations dans les Apprentissages
• C’est à l’école maternelle d’enseigner les gestes d’étude S’il est désormais acquis que l’expérience joue un rôle fondateur dans le développement, il l’est aussi que certains apprentissages ne peuvent se faire sans l’action de l’enseignant (ex : la conscience phonologique, l’apprentissage de la lecture…). Enseigner les compétences requises par et à l’école. On émet l’hypothèse que tout au long de la scolarité, l’école requiert des savoirs et savoir-faire et des compétences qu’elle n’enseigne pas ou enseigne peu. On fait aussi l’hypothèse que tous les élèves ne profitent pas également des tâches scolaires. Pourquoi ? • Certains enseignants mesurent mal ce qui fait difficulté et connaissent mal les savoirs savants sous jacents aux concepts qu’ils font manipuler. • Certaines compétences sont « naturalisées » : les enseignants estiment que tous les élèves en disposent. Au CP, certains enseignants considèrent qu’à l’école maternelle, on a développé la conscience phonologique et que tous les enfants maîtrisent les compétences qui la sous-tendent. Or, quand on procède à des tests systématiques, on constate que 20% des enfants n’ont rien compris de cette conscience phonologique, de cette correspondance grapho/phono, phono/grapho. • Dans de nombreuses tâches, on ne livre à l’élève que la consigne : charge à lui de savoir quelles procédures mobiliser et ce qu’il est en train d’apprendre. Pour certains élèves, la tâche « moyen » devient la tâche principale, c’est-à-dire que toute l’activité de l’élève est centrée sur la tâche « découpage » (par exemple) alors que l’activité est une activité de lecture ou de tri. Si la tâche moyen devient la tâche principale, l’attention des élèves ne sera par portée sur l’apprentissage mais sur ce qui l’entoure. Il y a une grande différence entre faire découper et apprendre aux élèves à découper efficacement. Il y a une nette différence entre faire ranger des phrases dans l’ordre et transmettre les procédures efficaces qui permettent de réaliser cette activité sans tâtonner. On a coutume de dire qu’il faut « donner du sens aux apprentissages parce que les élèves, spontanément, n’en donnent pas ; cette vision est erronée. Le problème n’est pas que les élèves ne donnent pas de sens (ils en donnent tous un) mais, parfois, ce n’est pas celui donné par l’enseignant. Certains croient par exemple que le but est de faire une jolie couronne des rois pour maman, quand l’enseignant vise à faire raisonner les élèves sur la sériation (alternance de gommettes). • On présuppose parfois à l’école maternelle qu’il suffit de faire, de voir, de multiplier les tâches pour que l’élève apprenne, comprenne et mémorise. La réitération d’expériences et la réalisation de tâches, pourtant pertinentes du point de vue du développement, sont efficaces pour une grande majorité d’élèves mais ne le sont pas toujours pour tous. De même que nous ne nous souvenons pas du nom des trois otages français qui ont été détenus en Irak, que nous avons pourtant entendu pendant des semaines, de même, certains élèves sont incapables de lire le nom des jours de la semaine à l’entrée au CP, alors que durant les trois ou quatre années de maternelle, la date a été écrite au tableau quotidiennement. La répétition seule n’entraîne pas automatiquement la mémorisation. Si on n’aide pas les élèves à encoder les mots (le nom des lettres, comment elles se disent, comment elles s’écrivent et leur ordre dans les mots), certains élèves ne les mémorisent pas. Pourtant les programmes sont clairs : l’école maternelle doit doter tous les élèves d’un capital mots ou d’un petit lexique mental. Exemple : plusieurs noms sont proposés à des élèves de CP
On sait qu’il y a des compétences spécifiques (vocabulaire, concepts verbaux) sur lesquelles il est important de travailler régulièrement et systématiquement à l’école maternelle.
Recherches sur le développement cognitif L’enfant aborde toujours un concept dans une situation donnée. L’idée qu’on pourrait apprendre un concept sans contenu est une aberration. Tous les concepts se construisent en situation. Le travail de l’école est d’amener l’enfant à sortir de la situation donnée pour essayer de généraliser ce concept à d’autres situations. Dans nos interventions, nous ne laissons pas le transfert à la charge de l’enfant, nous l’entraînons et aidons les élèves à prendre conscience des situations favorables : c’est la répétition sans répétition. On va amener l’enfant à construire un concept dans une situation donnée et proposer d’autres situations qui sollicitent la même procédure ou le même concept pour lui donner une valeur plus générale que celle qu’il avait apprise dans la situation particulière. Les élèves apprennent en action une série de réussites, c’est-à-dire que dans l’activité, ils vont développer des procédures qui vont lui permettre de réussir. Avec d’autres (Piaget, Karmiloff-Smith, Vergnaud, Case et Okamoto, Campbell et Bickhard…), nous considérons que le développement cognitif prend naissance dans la formation d’un répertoire de procédures efficaces. Grâce aux expériences qu’il fait sur le monde, l’enfant apprend progressivement des suites organisées d’actions qui lui permettent de réussir. Ces séquences d’actions qui régissent le fonctionnement opératoire quotidien des jeunes enfants (3-4 ans) sont extrêmement puissantes. Faciles d’accès et cognitivement peu coûteuses, elles n’exigent pas (ou exigent peu) de contrôle intentionnel n’ayant pas à s’exprimer autrement que par l’action. Elles permettent de réussir même sans aucune théorie. Grâce à elles, on peut très bien traiter des relations (quand on compare en pareil et différent), catégoriser (quand on rassemble différents animaux), ordonner (quand on aligne des objets les uns derrière les autres), égaliser (quand on construit deux collections de même quantité en les rangeant terme à terme). Mais ces réussites-en-actes ne doivent pas leurrer : si l’enfant réussit et a conscience du résultat de ses actions, il ne peut expliciter ni les règles ni la suite des opérations qui l’ont amené à la bonne réponse. Les raisons de son efficacité (mettre en équilibre, égaliser, aligner, rassembler…) — ce que Piaget désigne comme la « logique de l’action » — ne lui sont pas connues : elles restent implicites. Par exemple, il peut parler le français sans connaître aucune règle de sa grammaire. On peut donc savoir faire sans savoir et réussir sans comprendre. Est-ce gênant ? Non, tant que la procédure amène au résultat visé et que l’enfant se contente du succès : l’absence de compréhension ou de prise de conscience ne rend pas l’action moins efficace. Tout va donc bien tant que tout va bien, c’est-à-dire tant que la situation est familière, que les contenus sont connus et que la perception n’est pas trompeuse. Mais que la situation change (soit parce que les traits de surface sont inconnus, soit parce que survient un incident critique au milieu de la séquence d’actions) et les automatismes apparaissent comme tels : comme des connaissances stables sur des bases fragiles. Exemple : si un enfant qui sait ranger des bâtons par ordre croissant, doit ranger des chiffres dans ce même ordre, il est incapable de le faire, ne discernant pas la parenté logique (la sériation) des deux tâches. Enfin, si la solution exige une modification de la procédure, le problème devient intraitable. En conséquence, une procédure, même si elle réussit, est inopérante à long terme du point de vue du sujet qui ne la comprend pas. C’est pourquoi on s’accorde aujourd’hui pour penser qu’une bonne partie du développement consiste à dégager (ou à expliciter) la logique implicite contenue dans les procédures, abstraction qui permet d’acquérir progressivement un ensemble de cadres conceptuels relativement généraux (série, catégorie, nombre, espace, temps…). Ce processus d’explicitation n’a rien d’automatique et n’est pas une conséquence obligée de l’action, de la réussite ou du jeu : il résulte nécessairement d’un traitement actif par l’enfant. Aussi pensons-nous qu’il ne suffit pas de laisser les élèves agir librement (de les mettre en activité, de leur faire faire des exercices) mais qu’il est nécessaire de les aider à déplacer leur attention de la performance (du résultat) à la procédure elle-même. Il ne suffit pas non plus de faire répéter inlassablement les mêmes exercices en se bornant à augmenter le nombre de détails ou d’informations : dans ce cas, l’action tue toujours la compréhension. Il faut différer l’action et amener l’élève à s’arrêter sur les propriétés des objets (formes, couleurs, fonctions, même famille que, etc.) et sur les stratégies qui rendent l’action efficace, en d’autres termes à découvrir par quels mécanismes on arrive (et ils sont eux-mêmes arrivés) à la bonne solution. Une fois dominé ce type de logique, l’enfant peut s’attaquer à n’importe quelle tâche analogue, de quelque manière qu’on l’habille, passer par exemple de la sériation de bâtons à celle de chiffres ou de lettres. La compréhension permet aussi d’inhiber les réponses « dangereuses ». |