Intervention de Mme Valérie Pécresse
Présidente de la Région Ile-de-France
IIIème Forum Grand Paris : « Innover pour réussir »
Jeudi 11 février 2016
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Monsieur le Président de la Métropole,
Mesdames et Messieurs,
Cher Christian Nibourel,
Intro
Je vous félicite pour l’organisation de ce 3ème forum « Innover pour Réussir » et pour la grande qualité des interventions de la journée. Paris-Ile-de-France-Capitale-Economique apporte une contribution essentielle à la réflexion que nous devons tous avoir sur l’avenir de notre territoire.
Vous êtes aussi, d’une certaine façon, des « lanceurs d’alerte » : dans l’étude que vous publiez cette année, notre région recule de deux places dans le classement des grandes métropoles mondiales pour les investissements internationaux.
Nous pouvons faire tellement mieux ! Ma vision
Nous vivons le temps des métropoles. C’est un moment très particulier de l’Histoire où nous assistons à un double mouvement : à mesure que le pouvoir se déconcentre à l'échelle du monde, il se concentre à l'échelle locale dans les métropoles.
Aujourd’hui, les 100 métropoles les plus riches concentrent 40% de la richesse mondiale. Et c’est dans ces métropoles que se produiront les deux-tiers du développement économique des quinze prochaines années. La mondialisation conduit donc à la concentration des richesses dans les plus grands espaces urbains.
Dans le même temps, le basculement de l’économie mondiale vers l’Asie va faire surgir de nouvelles mégalopoles dans les pays émergents. Imaginez qu’à l’horizon 2025-2030, c’est-à-dire demain, plus de 330 villes dans le monde hébergeront le siège d’une société réalisant plus d’un milliard de dollars de chiffres d’affaires. L’enjeu est là : que pèsera l’Ile-de-France sur la carte des grandes métropoles mondiales en 2025 ? En lisant les journaux, en écoutant les radios, en consultant les réseaux sociaux, nous sommes confrontés à des réalisations extraordinaires : architecturale, technologique, commerciale... Et Jean-Michel Wilmotte nous en a montrées quelques-unes. Une piscine transparente entre deux immeubles à Londres, une voiture sans pilote à San Francisco, une tour défiant la gravité à Hong-Kong, une ferme urbaine automatisée à Tokyo…
Comment ne pas se laisser envahir par la crainte que l'Histoire puisse s'écrire sans nous ? Et le désir qu’elle ne doit pas s’écrire sans nous ?
Ces sentiments sont d’autant plus justifiés que nous sommes au cœur d'un territoire qui a tant inventé, tant apporté au monde. Ma vision pour l'Ile-de-France est simple : je veux que nous ayons tous la conviction d'appartenir à ce monde en mutation, que tous les Franciliens se sentent à la frontière technologique, capables de défricher pour eux et pour le monde.
Cette ambition forte n'est pas une chimère. Certains talents sont partis. Il faut les faire revenir. Certains de nos atouts sont en jachère. Il faut les cultiver. Notre énergie et notre volonté d'indépendance sont immenses. Il faut les exploiter. La Région n'a pas tous les leviers d'actions sur la compétitivité, n'ayant pas la maîtrise de la fiscalité, de la règlementation et du droit du travail. Mais elle n’est pas démunie. Elle a aujourd’hui la compétence du développement économique, des transports, du logement, de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Bref, elle peut améliorer considérablement l'attractivité grâce à des infrastructures de qualité, un environnement porteur, une stratégie de mise en réseau des acteurs, des aides efficaces... C’est tout le sens du projet que j’ai bâti pour l’Ile-de-France. Mon projet :
Une excellente étude que vous avez publiée l’an dernier m’a beaucoup inspirée. Elle montrait que les métropoles qui réussissent dans le monde sont celles qui sont à la fois innovantes ET « multisectorielles ». L’Ile-de-France est indiscutablement multisectorielle – elle a des filières d’excellence dans l’industrie, la santé, la recherche, la culture… Mais elle est en retard en matière d’innovation et du coup, elle n’en profite pas pleinement. « L’innovation, c’est ce qui distingue le leader du suiveur » disait Steve Jobs. Cela vaut aussi pour les régions. Si nous n’innovons pas, nous sommes condamnés à rester à la traine des autres métropoles mondiales. L’innovation, c’est le nerf de la guerre. Elle doit nous conduire à revoir toutes nos politiques : politique économique, politique éducative et sociale, politique d’aménagement du territoire. Nous devons écrire notre histoire autrement, faire sauter les verrous et nous adapter sans cesse et rester dans la course. Innover, c’est d’abord avoir des idées neuves.
Une nouvelle stratégie économique C’est dans ce sens que nous allons définir dans les jours qui viennent notre nouvelle stratégie de croissance et d’emploi pour l’Ile-de-France.
Cette stratégie se concentrera sur la mise en valeur de nos filières d’excellence. Il n’est pas question d’éparpiller nos efforts mais au contraire de « mettre le paquet » sur les industries et services où nous pouvons avoir un leadership européen, voire mondial.
Je pense à la filière automobile et au véhicule du futur dans la vallée de la Seine;
au secteur aéronautique et spatial au Bourget (l’Ile-de-France est la première région aéronautique et spatiale européenne, on ne le sait pas assez. Nous allons avoir Ariane 6 bientôt, nous avons Roissy, nous avons Air France qui est le premier employeur privé en Ile-de-France, nous avons le Bourget et l’excellent Musée qui va être rénové).
au domaine de la santé avec un pôle cancer à Villejuif, les thérapies géniques autour du Génopole d’Evry, etc… ;
Je pense aux métiers de la finance qui donneront au quartier de La Défense le nouveau souffle dont il a besoin ;
aux métiers du transport et de la logistique autour de Roissy et à Orly : nos deux aéroports sont deux atouts considérables.
aux industries du numérique ;
au secteur du luxe bien sûr ;
aux métiers de la création (cinéma, animation…) en Seine-Saint-Denis.
au tourisme, une filière très durement touchée par la menace terroriste. C’est l’objet de mon déplacement au Japon avec Anne Hidalgo.
Vous l’avez compris : je veux créer en Ile-de-France un écosystème favorable aux entreprises. Et pour faire cela, je vais m’appuyer sur vous, ses dirigeants. Vous l’avez rappelé, je vais m’entourer – comme le font le maire de Shanghai ou le maire de Londres - d’un Conseil stratégique pour l’attractivité qui sera composé de chefs d’entreprises. Qui mieux que vous peut conseiller la Région sur ses grandes orientations économiques ?
Ce conseil reflètera la diversité de l’Ile-de-France dans ses entreprises, dans ses secteurs et dans ses problématiques. Il se réunira pour la première fois la semaine prochaine et évidemment Paris Ile-de-France Capitale Economique est de droit membre invitée de ce conseil stratégique tout comme Business France qui y siègera ès qualité parce que nous devons avoir des liens avec toutes les métropoles du monde. J’entendais à la table ronde précédente que la question des liaisons de Paris avec les autres aéroports est absolument cruciale dans ce domaine. Mais je serai également la VRP de la Région et de ses entreprises. Je vais me rendre à l’étranger régulièrement et je serai ravie d’y accompagner Paris- Ile-de-France Capitale Economique, pour « vendre » la Région auprès d’investisseurs internationaux et pour aider nos entreprises à décrocher des contrats. Je me rendrai ainsi au Japon avec Anne Hidalgo dans quelques semaines mais aussi en Corée, en Chine dans les mois qui viennent. D’ici là, je vous donne un autre rendez-vous capital pour l’avenir de l’Ile-de-France : le 22 mars, j’organise une Conférence régionale pour la croissance, l’emploi, la formation et l’innovation sociale. J’invite toutes les forces vives de la Région, dont vous faites partie, à participer activement à cette conférence. Tous les sujets seront sur la table, sans a priori et sans tabou, regroupés en cinq thèmes :
L’attractivité bien sûr. Un territoire attractif, je l’ai dit, ce sont des infrastructures de haut niveau. Or, notre réseau de transports est vétuste et insuffisant (nous avons encore une ligne qui n’est pas électrifiée !), nos aéroports sont mal desservis, notre territoire n’est pas totalement raccordé au haut débit, loin s’en faut...C’est une politique du logement innovante, qui fait émerger de vrais quartiers à vivre, des quartiers écologiques, et non pas des quartiers ghettos comme on en voit encore trop souvent dans certaines villes d’Ile-de-France ; un territoire attractif, c’est une qualité de vie, un air respirable avec une politique qui encourage la voiture décarbonée. Nous ne pouvons pas nous contenter d’avoir comme seule politique écologique de repousser les voitures hors de Paris....
L’avenir de l’Ile-de-France passe aussi par le rapprochement entre ceux qui innovent – les universités et les centres de recherche – et ceux qui investissent, les entreprises. L’ancienne ministre des Universités et de la Recherche que je suis peut vous assurer cette mise en réseau est très attendue par le monde universitaire. L’Ile- de-France fourmille de projets qui n’attendent que des développeurs.
C’est parce qu’elles n’ont pas suffisamment de partenariats avec les entreprises que les Universités de Créteil et de Marne-la-Vallée ont vu leur candidature au programme i-Site des investissements d’avenir écartée. Il faut faire émerger des campus capables de rivaliser avec la Silicon Valley, Cambridge ou Séoul. Pour cela, je suis prête à assumer, comme nous l’a proposé le président de la République, la responsabilité des pôles de compétitivité franciliens. J’ai tenu à prendre moi-même la présidence de l’établissement public Paris-Saclay pour veiller à la qualité urbanistique du projet, à sa desserte en transports, mais aussi à la coopération entre tous les acteurs aujourd’hui encore trop cloisonnés et j’espère que ce cloisonnement ne conduira pas à un échec des initiatives d’excellence. Saclay est l’avenir de l’Ile-de-France mais aussi de la France. Il est donc indispensable que l’on s’inspire des plus grands campus mondiaux.
Nous devons aussi aider les entreprises – et notamment les jeunes pousses - à trouver les financements dont elles ont besoin : ce sera un autre volet de notre réflexion. Nous avons un formidable vivier de start-ups high-tech – nous avons une plus grande concentration à Paris que dans la Silicon Valley ou à Londres ou Berlin – mais beaucoup s’en vont ou disparaissent faute de trouver des financements pour assurer leur développement. Je souhaite que la Région lance, avec l’aide de la BPI, un plan croissance TPE entre 10 000 et 50 000 euros : ces prêts que les banques font très difficilement et qui permettraient à nos entreprises de grandir.
Pour rester dans la course, nous devons également repenser notre offre de formation pour mieux préparer les Franciliens aux métiers de demain. Je pense aux jeunes mais aussi aux 700 000 demandeurs d’emplois : il est quand même stupéfiant que plus de 100 000 jobs ne trouvent pas preneur dans la Région chaque année et que la moitié des places de formation proposées actuellement par la Région soient vides ! Nous manquons de formations dans tous les métiers du numérique. Les entreprises doivent nous aider à définir la carte des formations dont elles ont besoin pour les années à venir. J’ai découvert que le président de la Région était chef de file dans la définition de l’offre de formation, je ne suis pas sûre que ce chef de file là soit totalement assumé. Il faut aussi apprendre à nos lycéens, à nos CFA à s’inscrire dans cette démarche. Je demanderai dans le cadre des expérimentations de la loi Notre sur l’emploi – vous savez que la Région peut demander une expérimentation politique sur l’emploi - et je demanderai à Pôle emploi que l’on révise notre partenariat. J’aimerais que nous ayons accès aux données sur l’emploi pour permettre de les mettre en relation beaucoup plus directement avec les entreprises. On est à l’ère du Big Data ; beaucoup d’entreprises savent géolocaliser, répartir par filières les demandes. Je pense qu’on a un énorme travail à faire de digitalisation, de numérisation.
L’innovation, enfin, doit être sociale. Il est impératif de réfléchir à de nouvelles façons de travailler. Puisque tout le monde s’accorde à dire que le code du travail n’est plus adapté, montrons la voie ! Imaginons ensemble de nouvelles formes de travail plus souples, plus conviviales, j’ai envie de dire plus fluides, Christian Nibourel, mieux adaptées à la vie de chacun. Je pense au développement des espaces de co-working, aux horaires décalés, ou au travail indépendant. Lisser les flux de transports aux heures de pointe serait une aide énorme pour la qualité de vie des salariés et pour la productivité des entreprises.
Une collectivité high-tech pour une smart région Au-delà de cette nouvelle stratégie, c’est la collectivité régionale elle-même qui doit se réinventer. Car l’économie n’est pas la seule métamorphosée par l’innovation technologique : nos modes de gouvernance s’en trouvent aussi transformés.
A cet égard, l’Ile-de-France est à la traine : elle n’a pas suffisamment tenu compte ces dernières années des changements rapides provoqués par la diffusion des technologies et par la création, à l’aide d’outils collaboratifs, d’un droit démocratique de participer, d’évaluer les décisions. Etre une Smart Région c’est prendre part à cette révolution démocratique, collaborative. La Région doit entrer dans l’ère de l’intelligence collective pour mieux gérer l’argent public, et offrir de nouveaux services simples, connectés, intelligents. Nous devons aux citoyens plus de transparence sur le budget de la Région, plus de transparence sur nos subventions. La Région doit aussi entrer de plain-pied dans l’ère de l’open data. L’usage intensif de l’open data contribuera à la fois à mieux gérer l’argent régional et à faire émerger de nouveaux services aux particuliers et aux entreprises. Il faut mettre en ligne la cartographie des réserves foncières : elle existe, nous avons les cartes. Il y a eu certaine rétention d’information de la part des entreprises de transports, des horaires. Pourquoi n’avons-nous pas une carte en open data des installations sportives lorsqu’elles sont disponibles ? Des places de parking disponibles ? La Région intelligente est celle qui considère les Franciliens non pas seulement comme des usagers mais comme de véritables partenaires. Il ne s’agit pas de développer une énième stratégie numérique en faveur du développement régional mais bien de faire une stratégie de développement régional dans un monde digital. Je pense que le dispositif PME que nous gérons aujourd’hui pour aider les entreprises devrait avoir un volet numérique tout comme il devrait avoir un volet énergétique. Face à l’ubérisation de la société, on a besoin de faire la transition numérique de l’existant. Nous ferons avec Jérôme Chartier la transition des formations qui va avec car il y a là aussi beaucoup de choses à dire.
Enfin, dernière compétence de la Région, au lycée nous devons mettre du codage et des langues. 75% de LV2 Espagnol en Ile-de-France selon l’Académie de Versailles. Nous sommes une région-monde. 600 000 Lusophones. Combien d’Arabophones ? Combien de Sinophones ? C’est un vrai problème. La région sera aux côtés des lycées pour mettre au moins des LV3 et pour qu’on ait un apprentissage des langues qui soit à l’image de la Région. Le temps de l’action/conclusion Tous ces chantiers sont ouverts ou en voie de l’être. On est là depuis un mois. Il n’y a pas de temps à perdre, j’en suis consciente, car le mouvement du monde ne nous attendra pas. Comme dirait Guillaume Poitrinal, « en France, c’est toujours un peu plus lent qu’ailleurs ». Si demain, le Brexit devient une réalité, nous devons être prêts à accueillir la finance mondiale. Car moi, je veux créer des emplois. Donc j’aime les entreprises et j’aime aussi – je le dis haut et fort - ceux qui les financent. J’ai un message pour nos amis d’outre-Manche: « The Paris region is the new London ! ». J’ai entendu à un moment M. Cameron faire le tapis rouge aux entreprises franciliennes ; maintenant « Tapis rouge is back ! ».
Pour réussir, nous devons aussi unir nos efforts, travailler ensemble. C’est ce que nous faisons pour la candidature de Paris-Ile-de-France aux Jeux Olympiques de 2024 ou celle de l’Exposition Universelle de 2025, qui pourrait se tenir avec un campus hors de Paris, – tout doit être fini pour 2024 - qui pourrait un formidable outil de promotion de l’Ile-de-France. Les deux projets ne sont pas du tout antagonistes, l’important est de construire le réseau de transports et la capacité hôtelière.
Patrick Ollier me pardonnera cette petite pique sur la complexification du millefeuille territorial en Ile-de-France. On n’y comprend plus rien. Avec Mme Hidalgo qui veut changer le statut de Paris pour se bunkeriser et fusionner ville et département. Avec les Hauts-de-Seine et les Yvelines qui fusionnent. Avec la création de la Métropole, c’est-à-dire un cinquième échelon, qui s’arrête à la petite couronne avec tout ce que cela entraine de fonctionnaires, de bureaucratie et de dépenses publiques supplémentaires. J’appelle de mes vœux à un vrai choc de simplification du millefeuille francilien, voire de la pièce montée francilienne. Les schémas de concertation que l’on doit mettre en cohérence, c’est bien mais ce que j’aimerais c’est porter des projets avec vous. Je serai peut-être un tout petit peu en retard pour les schémas mais j’espère être au rendez-vous pour l’innovation. La métropole naturelle, c’est la Région ! Le très grand Paris, c’est la Région ! Ses douze millions d’habitants, 30 % du PIB français, 400 000 entreprises, 40% des chercheurs français, deux des sites touristiques les plus visités d’Europe, nous avons tous les atouts pour être les meilleurs ! Je suis gaulliste, Patrick Ollier aussi, ça nous rassemble. Le général de Gaulle disait que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang. C’est exactement ce que je pense de l’Ile-de-France : sa vraie place est au premier rang. Je vous remercie.
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